Saturday, February 19, 2011

S'embrasent : l'inoubliable 55ième.


Avec la pièce de théâtre S’embrasent, Luc Tartar auteur des romans : Le marteau d’Alfred, et Sauvez Régine, donne la parole aux jeunes. Il les a rencontrés dans les lycées et il leur tend une oreille curieuse et passionnée tel un transcodeur saturé de signaux et de confidences recueillies sur les propos d’un premier amour, d’une première approche corporelle, pour adapter la fraîcheur et la pétillement de l’étreinte adolescente aux différents codes d’un déploiement théâtral qui situe les personnages les uns par rapport aux autres dans une approche dynamique en mouvement perpétuel autour d’un décor minimaliste où s’effectue la conversion d'une énumération de l’âme déployée en trois dimensions autour d’un divan orange et le mur du fond à mi chemin entre le mur des oracles et le tableau noir d’une classe comme une espèce d’empreinte au croisement des genres entre la musique, le lipsing, la danse, la chorégraphie, le théâtre et la prose poétique.

L’auteur d’une vingtaine de pièces de théâtre, connaît bien les émotions et sait donner de la consistance à cette approche réaliste de la sexualité des jeunes loin des drames et sous l’œil admiratif d’une vieille dame qui du haut de sa fenêtre veille sur eux comme une sentinelle nostalgiquement attendrie et qui porte un regard assagis au sommet de tant d’années: «Quatre-vingts ans. Pensez si j’en ai vu. Mais autour des amoureux comme s’ils voulaient toucher du doigt cet Amour avec un grand A qui menace leur quotidien et rend les rêves douloureux…», autour de cet amour, Tartar déroule le ruban du rêve.
On sent la fraîcheur des kiwis et des pommes grenades, l’odeur des chewing gums et la beauté astringente des déclarations de filles à la cannelle et de garçons en chocolats qui s’apprivoisent, se toisent, se fréquentent, se désirent et se rêvent avec une simplicité désarmante.

«J’ai résilié mon abonnement à « Oh les filles ». Je tombe des nues quand je
vois les modèles qui s’offrent à toutes les pages. J’ai beau placarder leurs
posters au-dessus de mon lit et commander des tonnes de maquillage
jamais je ne ressemble à ça, moi.» Non. Les jeunes de Tartar ne ressemblent qu’à eux-mêmes, ils ressemblent à la vie qui suit son cours comme l’onde d’un ruisseau caresse le pied des fougères au printemps, après la fonte des grands espaces de neige. Après la moins que probable dégelée du pergélisol de l’enfance pourtant bien installé et tenu pour immuable.

C’est alors que Tartar leur tends un miroir d’Orphée sur l’arrière scène de la vie : ce jouet parcouru tant de fois sur un quadrillage de marelle et qui s’étiole soudainement en un éveil dans cette cour d’école où plus rien de nouveau n’était attendu dans l’univers infantile du prévisible. Quand lorsque soudainement à travers le filtre magique d’une nouvelle attraction et pour la première fois, ils s’embrassent et s’embrasent dans l’éblouissement du témoignage des copains. Cela me rappelle, dans l’essence et l’esprit de la chose,le Sacre du Printemps de Stravinski, dans la danse des adolescentes.

Or «des baisers comme celui-là... Leurs âmes entremêlées qui dansent comme sur un fil les corps secoués par un violent désir qui déferle et désarme et déchire. Deux êtres en équilibre instable au bord du monde. Un coup de foudre. On reste en apnée devant ça. On en oublie de respirer. Bouffé par l’émotion. Dans la
cour filles et garçons n’en croient pas leurs yeux et s’agglutinent…» Jonathan embrasse Latifa. C'est un coup de foudre qui bouleverse les témoins de la scène - les filles, les garçons, les profs, les parents, la voisine d'en face et même le directeur...

Le danger lorsqu’on aborde l’imaginaire érotique de la première sensualité c’est de tomber dans le pathos absolu, c’est de dissoudre les souvenirs des adultes dans la fraîcheur primesautière de l’adolescence, c’est de placarder sa propre sexualité en version revue et corrigée sur celle de la jeunesse actuelle. Or rien ici n’est du : tout fait d’avance. Cela s’articule autour du discours des jeunes des lycées à un point tel que les jeunes que j’ai interviewé à la toute fin de la soirée m’ont dit : «Ce qui nous frappe dans la pièce, ce sont les sentiments. Ça correspond à ce que nous sommes. Et les histoires qui sont racontées, ce sont celles que nous entendons nous aussi à l’école.»

Cette production du Théâtre Bluff est éblouissante. Le texte de Luc Tartar est mis en scène de main de maître dans une structure pourtant complexe mais sans lourdeur d’Eric Jean, assisté de Stéphanie Raymond : sans étouffer la spontanéité du jeu théâtral. Le piège était pourtant présent et l’entreprise aurait pu facilement s’effondrer sous la fréquence des déplacements multiples au travers desquels se déroulent les répliques parsemées de chorégraphies exigeantes et savamment ciselées qu’on a huilé au quart de tour après 9 mois d’un travail attentif qui tient autant de l’exploit sportif que d’un lyrisme juvénile qui donnent aux corps des acteurs de 25 ans, l’apparence de la jeunesse.

Les comédiens Catherine Bégin en remplacement de Béatrice Picard, Francesca Bárcenas, Christian Baril, Matthieu Girard et Talia Hallmona se sont prêtés à la rencontre du public après une prestation époustouflante qui se méritait pourtant, le repos du guerrier. C’était le soir de la cinquante-cinquième. Cinq fois je suis tombé en amour bien assis devant eux. J’ai bu chaque parole et chaque explication, j’ai approfondi grâce à eux la structure de la mantisse de cette tapisserie théâtrale dont les fibres n’ont rien à voir avec des brins d’ADN et la laine des moutons mais avec la structure biochimique de l’adénosine triphosphate (ATP) qui est la molécule qui, dans la biochimie des organismes vivants, fournit l'énergie nécessaire aux réactions chimiques du métabolisme.Ces comédiens sont des donneurs d’énergie et Catherine Bégin, un réservoir de sagesse.

La scénographie de Magalie Amyot est parcourue par la haute voltige d’une exigence multimédia. Les costumes de Stéphanie Cloutier sont simples et efficaces tout en permettant beaucoup de mouvements. L’environnement sonore d’Olivier Gaudet Savard nous fait rêver et oscille entre les répliques dans l’écho, les chansons de Fugain et les collages électro-acoustiques. Les éclairages de Martin Sirois sont précis et découpent les silhouettes qui dès le début de la pièce, nous captivent en émergeant de l’obscurité pour donner au discours théâtral un accent phosphorescent et une luminescence déclamatoire.

J’ai été conquis du début à la fin. Je suis sorti de là énergisé. Et j’ai pu demander à chaque comédien sa vision du rôle essentiel de la sentinelle dans la pièce. Vous pensez peut-être que je vais vous l’expliquer : goujats, allez voir la pièce et posez vous-même la question. Cependant je ne peux passer sous silence le témoignage d’un comédien qui rapportait la remarque d’un jeune qui voyait en la sentinelle, le personnage de Latifa ayant vieilli qui regardait à son tour une jeunesse toute neuve devant l’amour.

Voici quelques liens de référence :

Site de Luc Tartar :
http://www.luc-tartar.net/

Video de la pièce S’embrasent :



Témoignage du comédien Christian Baril :



Témoignage de la comédienne Francesca Bárcenas :



Témoignage du comédien Matthieu Girard :



Témoignage de la comédienne Talia Hallmona :



Témoignage de la comédienne Bétrice Picard qui était remplacée par Catherine Bégin :



Une production du Théâtre Bluff, sous la direction artistique de Sébastien Harrisson



Pierre Castonguay

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